17 juillet 2007
Les Harmonies Werckmeister
Je souhaitais écrire un billet sur cette magnifique oeuvre poétique de Béla Tarr, car c'est le dernier choc cinématographique qu'il m'ait été donné de vivre. En cherchant plus d'infos sur le réseau, j'ai trouvé quelqu'un qui en parle à merveille.
Je reprends donc l'article de Laurence Reymond, paru sur le site fluctuat.net (http://www.fluctuat.net/355-Les-Harmonies-Werckmeister)
"Premier film de Béla Tarr à être distribué en France, Les Harmonies Werckmeister ont tout pour créer un mythe. Cinéaste réputé difficile (certains de ses films durent plus de 7 heures), Tarr est porté aux nues par certains de ses pères, Gus Van Sant en tête. Les Harmonies, en guise d'introduction, tracent un chemin tout en lenteur et contemplation, entre rêverie et témoignage, sorte de fable politique et humaine qui possède une force incroyable. Une belle et inoubliable rencontre cinématographique.
Valushka est un jeune livreur de journaux, qui s'occupe de la santé d'un musicologue, M. Eszter, homme important dans le village de campagne dans lequel ils vivent. Rien n'est ici inscrit dans une réalité précise. Nous sommes de toute évidence dans un pays de l'Est, dans la deuxième moitié du XXe siècle, mais nous n'en saurons pas plus. Une chose est claire : Valushka admire sincèrement M. Eszter, qui s'est séparé de sa femme, interprétée par la grande Hanna Schygulla (on pourrait voir le film uniquement pour elle). Or, celle-ci débarque chez Valushka, épuisée, et lui ordonne de dire à son mari qu'il doit soutenir la cause de son parti (le Parti de l'ordre, ou quelque chose comme ça) qui veut sauver la ville des troubles qui la guette, s'il ne veut pas qu'elle se ré-installe chez lui. La menace devant être grave, Eszter accepte de démarcher les pontes de la ville, tandis que la population se regroupe sur la place, où un forain propose de montrer en spectacle « la plus grosse baleine du monde, et un prince ».
Bien que les gestes de Valushka soient très concrets et circonscrits, on baigne dans une abstraction sublimée par une mise en scène lente et majestueuse, un noir et blanc magnifique et une musique sombre et fragile. Le premier plan - en dix belles minutes de magie, de poésie et d'humour - nous montre la rotation des planètes, interprétée par des ivrognes au moment de la fermeture du bar, et dont Valushka est le metteur en scène. Passionné d'astrologie et à la fois impliqué dans la vie des êtres qui l'entourent, il est la porte qui nous permet d'accéder aux faits qui sont décrits. En parfaite adéquation avec ce personnage de naïf un peu simplet, constamment étonné et curieux, nous sommes transportés dans la ville, croisant des visages inquiétants, mais dont l'hermétisme n'est pas dû à une quelconque mise en scène : c'est à l'hermétisme du monde qui nous entoure que nous sommes renvoyés.
Dans ce micro-univers, on sent un frémissement de révolte, la violence qui monte, peut-être une insurrection, mais dont nous ne connaîtrons pas la cause. Si le film parvient à créer un climat de rupture politique très concret, il tourne pourtant tout autour d'un mystère, comme les ivrognes-planètes tournaient autour d'un ivrogne-soleil au début. Grand film mystique, spirituel et dostoïevskien, Les Harmonies appellent le sentiment du divin, dans des scènes pourtant bien plus « lisibles » que chez un Tarkovski par exemple. La scène où Valushka va voir la baleine, leur face-à-face, est à la fois d'une poésie « universelle » et une allégorie de « la puissance du Seigneur », comme l'exprime le jeune homme à Eszter. En perpétuelle quête d'une expérience du divin (on peut comprendre ainsi sa passion pour l'astrologie), le jeune naïf va sans le savoir à la rencontre de la violence des hommes, menés par le mystérieux "prince" que nous ne verrons jamais.
Avec ces Harmonies Werckmeister, Béla Tarr crée un univers cinématographique unique, d'une grande richesse plastique. Le sentiment que quelque chose nous échappe ne nuit en rien à l'impression d'assister à un événement rare au cinéma : le monde, engendré par un regard, ou la mise en abîme de notre propre expérience du monde (et du cinéma). A tous les sens du terme, le film le plus fantastique de ce début d'année.
Les Harmonies Werckmeister
Un film de Béla Tarr
Hongrie / 2002 / 145'
Avec Lars Rudolph, Peter Fitz, Hanna Schygulla.
Sortie le 19/02/2003."
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